Le 8 mai 1945, Henri Gibon, maire de Tréauville, a noté au crayon gras rouge sur son carnet agenda « Fin de la guerre ». Le lendemain à la fête de la Paix aux Pieux, en présence d’une délégation militaire américaine, il fit un speech en anglais, langue qu’il maîtrisait pour avoir vécu en Angleterre, pays d’origine de son épouse Marjorie. 5 ans et 8 mois plus tôt, le 1er septembre 1939, Henri Gibon avait noté au crayon noir « Déclaration de guerre contre l’Allemagne ».
Dès octobre 1939, un comité d’aide aux soldats mobilisés de la commune fut constitué. Ce comité distribua une première aide de 500 francs et décida d’affecter le produit de la quête de Noël faite chaque année chez les habitants pour les écoliers et écolières à des envois de colis pour les mobilisés.
Mobilisés en 1939, de gauche à droite, Louis Lefaix, Jean Branthonne et Jean Collas
Les Allemands occupèrent le presbytère dès le mois de juillet 1940. Le curé de Tréauville, l’abbé Frétel, ancien combattant de 14-18, avait des sentiments chargés d’acrimonie envers ses « locataires » non désirés. « Depuis le 23 juillet 1940 nous sommes pays occupé. A Tréauville, il y a Kommandantur, 120 hommes de troupe, officiers et soldats, et 180 chevaux : tous les prés pillés et les fenils entamés. Que deviendrons nous cet hiver, alors que nous sommes déjà réduits en bois et en charbon ? Comment chauffer tout ce monde-là ? La salle à manger du presbytère sert de mess aux officiers et sous-officiers et la cuisine est à leur disposition. La chambre d’amis sert d’infirmerie et le jardin de lieu de promenade pour la troupe. Quand serons-nous délivrés et qui nous délivrera ? » Les soldats allemands occupaient aussi la grande maison de Mme Hébert dans le bourg, le manoir de Rade et beaucoup de fermes de la commune. Au Bois, André Sorel, raconte que les Allemands ayant quitté précipitamment les lieux en 1944 avait laissé un grand portrait d’Hitler sur un mur de la pièce qui est aujourd’hui sa salle à manger.
Le couvre-feu fut institué à 20h00. Des tickets de rationnement furent mis en circulation pour le pain, la viande, le lait, les vêtements, les chaussures et le charbon. Des cartes alimentaires étaient distribuées à la mairie une fois par mois. Toutefois, comme dans la plupart des campagnes, les cultivateurs parvenaient à fournir des ressources alimentaires. Monsieur Letablier faisait tourner son moulin la nuit, au Moulin d'Arrondel, pour produire clandestinement de la farine. François Langlois, ancien boucher, pratiquait l'abattage clandestin chez lui ; il vendait la viande à des particuliers sans chercher à s'enrichir.
Occupants de l'armée allemande devant l'entrée du manoir de Rade.
Les responsables allemands de la construction du mur de l’Atlantique considérèrent que le littoral du canton des Pieux ne se prêtait guère à une opération de débarquement de grande envergure. La violence des courants, les multiples écueils, l’écran formé à l’ouest par le chapelet des îles anglo-normandes puissamment fortifiées et armées, étaient autant de garanties. Le port de Diélette était défendu contre d’éventuels coups de main par quelques petits ouvrages dominant la baie et comportant une casemate pour pièce de campagne et trois petites casemates pour mitrailleuse. Un poste d’observation, dont les vestiges sont encore visibles, coiffait le Mont-Saint-Gilles.
Pour réaliser ses travaux de défense, l’armée allemande avait recours aux réquisitions de main d’œuvre et de moyens de transport. Ce n’est pas de gaieté de cœur que des Tréauvillais acheminèrent avec leurs tombereaux des matériaux pour la construction d’emplacements de batteries de tir et de blockhaus aux Delles sur les hauteurs derrière la ferme de Couilly, à Diélette et sur la côte entre Siouville et Vauville. D’autres furent réquisitionnés pour planter des « asperges de Rommel », ces pieux placés dans les champs à intervalle régulier afin d’empêcher tout atterrissage d’avion ou de planeur.
Des groupes ou des individus isolés menèrent des actions de résistance qui consistèrent dans un premier temps à collecter des renseignements pour les transmettre en Angleterre. A Tréauville, François Langlois, cultivateur à la ferme de la Beauce et conseiller municipal, rejoignit le groupe d’Yvon Giudicelli de Flamanville. Il utilisait un poste radio émetteur-récepteur raccordé à une antenne camouflée dans une pile de bois. Les renseignements transmis portaient notamment sur les zones minées du bord de mer, l’emplacement des batteries anti-aériennes et des ouvrages de défense de la côte.
Plusieurs actions de sabotage des lignes téléphonique eurent lieu. La ligne reliant Tréauville à Flamanville fut coupée trois fois durant l’année 1941. Devant la répétition de ces actes de sabotage, les Allemands désignèrent des otages pour garder la route le long de la ligne téléphonique pendant une semaine jour et nuit.
Comme le rappelle la stèle érigée sur la place, le 26 novembre 1943, en rentrant d’une mission de bombardement du site de construction d’une base de lancement de bombes volantes V1 à Couville, les bombardiers de la RAF furent les cibles de la défense anti-aérienne allemande. Trois B-25 Mitchell s’écrasèrent sur le territoire de la commune, un quatrième s’abîma en mer au large de Flamanville. Quatorze aviateurs alliés de cinq nationalités différentes périrent. Deux aviateurs parvinrent à s’extraire en vol d’un des avions et à sauter avec leur parachute, l’un d’eux fut fait prisonnier, l’autre échappa aux Allemands.
Bombardier B-25 Mitchell de la RAF.
Le 31 mai 1944, une drôle de livraison arriva à la ferme isolée de la Beauce. Un groupe de résistants était allé en camion récupérer des armes mises à disposition par les F.F.I. en forêt de Tourouvre dans l’Orne. Il y avait là : un caisson d’explosifs, un autre d’accessoires pour explosifs, un container de mines, un fusil mitrailleur Brenn, un dispositif anti-char, et deux mitrailleuses avec des munitions. Le tout fut pris en charge et soigneusement caché par François Langlois. Cet approvisionnement fut complété par de l’armement apporté par deux déserteurs, un Polonais et un Tchèque. Quelques jours avant le débarquement, le matériel fut distribué aux groupes de résistants du canton.
Au lever du jour, le dimanche 18 juin 1944, douze jours après le débarquement, les Américains atteignirent Barneville, la presqu’île du Cotentin était coupée. Le même jour, 18 juin dans l’après-midi, trois bombes furent larguées par les Alliés sur Tréauville. L’objectif était, semble-t-il, la kommandantur allemande installée dans la maison de Mme Hébert près de l’église. Les bombes n’atteignirent pas leur cible, l’une d’elles tomba dans le cimetière à proximité de la porte de la sacristie. Fort heureusement, la cérémonie dominicale des vêpres était terminée depuis une quinzaine de minutes, les paroissiens avaient quitté les lieux. Le sacristain, Paul Leseigneur, présent dans l’église pour le rangement, est sorti couvert de poussière mais indemne. Aucune victime, ni blessé ne fut à déplorer. Les Allemands, probablement alertés de l’avancée des Alliés et des bombardements réalisés en appui, étaient partis depuis quelques heures pour se replier vers Cherbourg. Les dégâts occasionnés à l’église et aux bâtiments voisins étaient importants. Tous les vitraux de l’église furent détruits par le souffle, sauf ceux de la rosace. Les murs extérieurs près de la sacristie portent encore des stigmates de l’explosion.
Maison de Mme Hébert, kommandantur pendant l'occupation, cible du bombardement du 18 juin 1944.
Peu de temps avant l’arrivée des Américains, des soldats allemands de Surtainville furent mutés à Querqueville. Cinq attelages réquisitionnés déménagèrent leur matériel. Au retour, le 18 juin, vers 14h15, sur le Mont Thulé, à Tréauville, un avion les repéra et les mitrailla. Heureusement, les conducteurs parvinrent à se protéger près des talus mais les chevaux furent tués ou blessés.
Le lendemain, le 19 juin 1944 au soir, les Américains avaient dépassé Les Pieux vers 17h30. Les deux bataillons de tête marchèrent sur Tréauville puis en direction d’Helleville où ils s’arrêtèrent tard dans la nuit. La seule résistance opposée par les Allemands fut des sabotages sur les principaux axes routiers par de petits groupes de sapeurs venus de La Hague. A Tréauville, le pont Chauvin, sur la route des Pieux à Diélette, et le pont Sorel furent détruits. Mais, ces actions n’entravèrent guère l’avancée des libérateurs. Au pont Sorel, l’habitation la plus proche fut en partie détruite lors de l’explosion du pont. Les résidents de cette maison, une famille de 13 enfants, furent accueillis en tant que réfugiés à la Conscience dans la maison de la famille Hochet.
La jeep, véhicule emblématique de la libération.
Tandis que les unités américaines poursuivirent leur progression vers le camp retranché de Cherbourg, elles laissèrent les groupes de résistance s’occuper des éventuelles formations ennemies isolées. Le 20 juin, deux Allemands furent signalés à Diélette ; La chasse à l’homme s’organisa. On les retrouva dissimulés dans les roseaux à la Houssairie.
Par la suite des Américains stationnèrent dans la commune dans des campements aménagés avec leurs moyens logistiques. Au lieu-dit le Ribouilli, au bord de la route du hameau de la Mare, un grand camp était doté d'un hôpital de campagne et d'une chapelle. Parmi les militaires américains se trouvait Billie Bishop, jeune californien de 19 ans, venu contribuer à la libération de la France et de l’Europe, victime de l’explosion d’une mine le 15 octobre 1944.
Jean-Baptiste Léger dans la caserne de l'escadron à cheval du 15e GRDI.
Dans cette guerre, Jean-baptiste Léger, jeune tréauvillais de 22 ans a perdu la vie. Il est Mort pour la France le 9 juin 1940 dans les Ardennes alors qu'il s'opposait avec son unité à l'invasion allemande. Cette même année, à la bataille de Dunkerque, Louis Lefaix fut victime d'une grave blessure à la jambe qui nécessita une amputation. Dix-neuf Tréauvillais furent prisonniers de guerre, d'autres réquisitionnés pour le Service du Travail Obligatoire en Allemagne. Le petit Michel Boivent, 6 ans, victime innocente de l'explosion d'une grenade, repose dans le cimetière communal avec ses parents.
Christophe Tougeron
Sources : Livre d’André Hamel Le canton des Pieux six ans de guerre 1939-1945. Carnets agendas d’Henri Gibon aimablement prêtés par Mathilde Lerouvillois. Témoignage enregistré aux archives départementales de Louis Leboisselier. Témoignages d’André Sorel, Bernard Lefaix, Roland Hochet et Michel Branthonne. Discours d’hommage à Billie Bishop par Michel Giard. Panneau d’information de la stèle des aviateurs de Tréauville. Cahier aide-mémoire de Robert Brisset aimablement prêté par Cécile Néel. Mémoire d’étudiante de Béatrice Lefaix La commune de Tréauville sous l’occupation 1940-1944.